Mes meilleurs amis ne me reconnaissent plus dans la rue ; leurs yeux fixes, bien droit sur le chemin, m’ignorent. C’est que je commence à faire partie de cette foule d’êtres dépossédés, ceux-là qui ont perdu toute saveur, dont les visages sont devenus banals ; qui se croient libres dans leurs rêves, mais ne le sont pas même en esprit.
Ou bien sont-ce les rigueurs de l’hiver qui les incitent à ne pas mouvoir leur vue hors de leur écharpe, à ne pas tendre la main par peur de devoir retirer leur gant ? De toute façon, je n’imposerai pas mon existence à ces vieux amis, qui ont déjà trop souffert ma présence ; je ne veux plus entendre parler du passé – je me plonge avec délice dans ce fleuve dont tu as tracé le cours méandreux. Et s’il est gelé aujourd’hui, il charriera bientôt toutes les glaces de l’hiver !